L’axe intestin-cerveau (leaky gut-leaky brain)

Source : https://www.frontiersin.org

Article : The Vagus Nerve at the Interface of the Microbiota-Gut-Brain Axis

Date de parution : 05.07.2018

Niveau de difficulté : Difficile

La science a mis en évi­dence l’axe intestin-cerveau et a éta­bli un lien de cau­sa­li­té entre la dys­biose intes­ti­nale (flore per­tur­bée) et nombre de troubles neu­ro­lo­giques et mala­dies auto-immunes (anxié­té, dépres­sion, défi­cit d’attention, dimi­nu­tion des capa­ci­tés cog­ni­tives, insom­nie, dou­leurs chro­niques, perte de mémoire, démence, agres­si­vi­té, Alzheimer, Parkinson, sclé­rose en plaque, autisme, etc.).

En France, la dépres­sion concer­ne­ra une per­sonne sur cinq, c’est actuel­le­ment trois mil­lions de per­sonnes affec­tées, c’est un sui­cide toutes les cin­quante minutes. Cette mala­die est désor­mais envi­sa­gée non plus comme une patho­lo­gie locale, céré­brale, mais comme une patho­lo­gie géné­rale dont le foyer ini­tial est le microbiote.

La genèse du pro­ces­sus est une dys­biose intes­ti­nale, une pul­lu­la­tion bac­té­rienne de la flore de fer­men­ta­tion, une inflam­ma­tion[1] locale qui devient sys­té­mique en uti­li­sant quatre voies phy­sio­lo­giques que nous détaille­rons ci-après, et se pro­page au cer­veau. Lorsque l’intestin est per­tur­bé par une flore patho­gène, per­méable à des élé­ments inflam­ma­toires, la bar­rière pro­tec­trice hémato-encéphalique[2] subit le même sort, et le cer­veau ne peut évi­ter l’inflammation à l’origine de la dépres­sion (lea­ky gut – lea­ky Brain).

Corriger la dys­biose sou­lage le cer­veau ! Vous avez enten­du par­ler de pro­bio­tiques et de pré­bio­tiques, vous enten­drez pro­chai­ne­ment par­ler de psychobiotiques.

La ques­tion est donc celle-ci : com­ment à dis­tance, un foyer intes­ti­nal peut-il mettre le feu au cerveau ?

Faisons un bref rap­pel phy­sio­lo­gique :

  • Nous sommes consti­tués de quelque cent mille mil­liards de cel­lules (1014) et sommes dépen­dants de bac­té­ries dix fois supé­rieures en nombre (1015), sans les­quelles nous ne pour­rions vivre ni même digé­rer nos ali­ments. Elles et nous, for­mons un tout indissociable.
  • Nous sommes donc en réa­li­té consti­tués de 10% de cel­lules humaines et de 90% de bactéries.
  • 90 % de ces bac­té­ries se situent dans notre tube diges­tif, essen­tiel­le­ment dans le colon.
  • Le génome humain est com­po­sé de 30 000 gènes. Les gènes de nos bac­té­ries consti­tuent un méta­gé­nome 100 fois plus impor­tant que le nôtre, soit 3 000 000 de gènes.

Développons :

Avantagées par le nombre, dotées d’une grande capa­ci­té géné­tique et riches d’une expé­rience évo­lu­tive de plus de trois mil­liards d’années, les bac­té­ries savent par­fai­te­ment influen­cer nos humeurs et nos com­por­te­ments. Il est donc impor­tant de ne pas nous lais­ser dépas­ser par le nombre et per­mettre aux bac­té­ries de prendre le pou­voir, auquel cas nous devrons nous battre contre une masse bac­té­rienne sur­puis­sante, et entrer dans une guerre qui crée une inflam­ma­tion chro­nique et épuise le sys­tème immunitaire.

Il convient à cha­cun de choi­sir ses hôtes et d’en contrô­ler la pro­li­fé­ra­tion par le biais de l’alimentation, et notam­ment les sucres dont se gavent les bac­té­ries de la flore de fermentation ! 

N’oublions pas que les bac­té­ries intes­ti­nales sont les pre­mières ser­vies lorsque nous ava­lons un aliment.

Si nous les nour­ris­sons trop, elles se mul­ti­plient, s’associent par­fois entre dif­fé­rentes souches, en concur­rencent d’autres, et ren­forcent leur capa­ci­té d’invasion du ter­ri­toire, nous !

Malheureusement pour nous, l’alimentation moderne, dite nor­male, nous fait consom­mer trop de sucres sous toutes leurs formes et dépasse assez faci­le­ment la capa­ci­té d’absorption de sucres de l’intestin grêle, une capa­ci­té qui dimi­nue irré­mé­dia­ble­ment avec l’âge.

Tout le pro­blème est là : un cumul de sucres au quo­ti­dien sou­vent exces­sif et une capa­ci­té d’absorption décli­nant avec le temps.

Nous man­geons au petit-déjeuner du pain, des vien­noi­se­ries ou des céréales indus­trielles, de la confi­ture, des yaourts sucrés, des fruits ou des jus fruits ; au déjeu­ner, nous consom­mons à nou­veau du pain, un autre fécu­lent comme les pommes de terre par exemple, un des­sert sucré, et peut-être un café sucré ; au dîner, nous pre­nons une nou­velle fois du pain, avec un autre fécu­lent comme le riz par exemple, un yaourt sucré et éven­tuel­le­ment un fruit ; sans par­ler des ponc­tuels en-cas, goû­ters, et autres pré­textes à gri­gno­ter : bis­cuits, vien­noi­se­ries, barres éner­gé­tiques, smoo­thies, jus de fruits, voire sodas, fruits, fruits secs ou confiseries.

Lorsque nous consom­mons des sucres riches en fibres (une barre de céréales par exemple), le grêle va absor­ber direc­te­ment les sucres simples comme le fruc­tose et le glu­cose, les bac­té­ries vont quant à elles décom­po­ser les sucres plus com­plexes par un pro­ces­sus de fer­men­ta­tion. Plus nous consom­mons de sucres en quan­ti­té (fécu­lents et fruits, notam­ment), et plus nous répé­tons la quan­ti­té, plus il fau­dra de bac­té­ries pour digé­rer les sucres, et plus elles se mul­ti­plie­ront de fait, constam­ment sti­mu­lées et nour­ries de tous ces sucres.

Cette situa­tion n’est ni plus ni moins que de l’élevage de bac­té­ries ; avec les années, on parle de pul­lu­la­tion bac­té­rienne, c’est la dys­biose, la voie royale vers l’inflammation, le syn­drome méta­bo­lique et les mala­dies auto-immunes. La dys­biose touche 80% de la popu­la­tion dès 40 – 45 ans, par­fois bien plus tôt.

La fer­men­ta­tion des sucres pro­duit des gaz, tout le monde s’en est ren­du compte, mais éga­le­ment de l’alcool, du vinaigre en fonc­tion de la gra­vi­té de la dys­biose, et des graisses, obli­ga­toi­re­ment, ce qui est net­te­ment moins connu.

Lorsque l’on fer­mente, on s’engraisse !

Lorsque l’on fer­mente beau­coup, on pro­duit des acides gras à chaîne courte (acides acé­tique, pro­pio­nique et buty­rique) en excès, mais aus­si des acides gras à chaîne longue, des céra­mides, qui vont engrais­ser le foie et les vis­cères jusqu’à des niveaux inflam­ma­toires très délé­tères, par­fois létaux (cir­rhose du foie, can­cers diges­tifs). Les céra­mides enva­hissent le ter­rain, le tube diges­tif, les organes et la peau, on devient cireux.

La consé­quence de la dys­biose, c’est une dégra­da­tion de la muqueuse du grêle, recou­verte d’un bio­film sur­nu­mé­raire patho­gène qui pro­duit des endo­toxines (lipo­po­ly­sac­cha­rides) extrê­me­ment agres­sives, cor­ro­sives. La dys­biose génère éga­le­ment des sels biliaires abra­sifs pour la vési­cule et le colon.

Avec le temps, la muqueuse s’abîme, des failles se créent et le grêle devient per­méable à des élé­ments inflam­ma­toires divers qui tra­versent l’épithélium et entrent en contact avec la cir­cu­la­tion san­guine, et donc notre monde inté­rieur. Les réac­tions en chaînes commencent.

A consom­mer trop de sucres, la capa­ci­té d’absorption du grêle se réduit davan­tage en rai­son de la dys­biose ; une mal­di­ges­tion des sucres s’est ins­tal­lée de façon per­ni­cieuse. Ce qui signi­fie qu’une grande par­tie des sucres ingé­rés ne sont pas absor­bés et res­tent à fer­men­ter dans le grêle – une situa­tion anor­male que nous pour­rions qua­li­fier d’explosive ! -, avant d’être éva­cués en l’état dans le colon où se pour­sui­vront la fer­men­ta­tion, la pro­duc­tion de gaz et de graisses.

Le pre­mier signe de la dys­biose est un excès de fer­men­ta­tion et donc de pro­duc­tion de gaz hydro­gène qui induit des bal­lon­ne­ments par­fois dou­lou­reux sur la par­tie haute de l’abdomen. Puis avec le temps, une flore méthyle-acétate se déve­loppe, voire éga­le­ment métha­no­gène (en bons éle­veurs de bac­té­ries que nous sommes par notre appé­tence aux sucres, nous pou­vons pro­duire le même gaz méthane que celui des vaches, nous nous trans­for­mons en rumi­nants, dotés de bac­té­ries en sur­nombre, c’est l’ère de la consti­pa­tion et l’haleine char­gée). Puis, la dys­biose s’am­pli­fie, les bac­té­ries enva­hissent le ter­ri­toire, la fer­men­ta­tion tourne au vinaigre au pre­mier sens du terme, c’est le temps de l’estomac-vinaigrier, de l’acidité brû­lante du tube diges­tif, des voies pul­mo­naires et uri­naires, c’est aus­si le moment choi­si par les bac­té­ries Acinetobacter pour s’associer avec Candidas Albican et mieux enva­hir l’espace, c’est la candidose.

A ce niveau de dys­biose, le vinaigre a enva­hi le tube diges­tif, dans l’estomac tout devient acide, même les ali­ments alca­lins : pommes de terre, bananes et carottes feront éga­le­ment du vinaigre, l’organisme est dépas­sé par les bac­té­ries. Notons ici, que l’on n’est pas acide parce que l’on mange acide, mais parce que l’on pro­duit de l’a­cide en rai­son d’une trop grande consom­ma­tion de sucres !

Les scien­ti­fiques constatent l’apparition des symp­tômes dépres­sifs dès le déve­lop­pe­ment de la flore méthanogène.

Voyons concrè­te­ment les quatre voies inflam­ma­toires intestin-cerveau :


1 – La voie sanguine :

Les lipo­po­ly­sac­cha­rides et divers méta­bo­lites de diges­tion, élé­ments hau­te­ment inflam­ma­toires, gagnent la cir­cu­la­tion san­guine de façon « frau­du­leuse » par les failles de la muqueuse endom­ma­gée et atteignent le cer­veau dont la bar­rière hémato-encéphalique dimi­nue en réac­tion à l’inflammation qui s’installe.

2 – La voie immunitaire :

Le sys­tème immu­ni­taire est aler­té par la pré­sence de ces élé­ments non-autorisés et tente de les maî­tri­ser. A ce stade une forte pro­duc­tion réflexe d’histamine induit des into­lé­rances ali­men­taires. Les macro­phages pro­duisent alors des molé­cules inflam­ma­toires, des cyto­kines comme les TNF-alpa, IL‑1 beta et IL‑6 qui vont elles aus­si atteindre le cer­veau par voie san­guine, mais aus­si par la voie rapide du nerf vague.

3 – La voie endocrinienne :

Les intes­tins pro­duisent plus de 80 % de nos neu­ro­trans­met­teurs tels que le GABA, la dopa­mine, l’acétylcholine, l’histamine, et la séro­to­nine indis­pen­sable à notre bonheur.

La séro­to­nine est éla­bo­rée à par­tir du tryp­to­phane, un acide ami­né issu des pro­téines de l’alimentation ; mal­heu­reu­se­ment pour nous, les bac­té­ries en sont extrê­me­ment friandes. Ce qui veut dire que très peu de tryp­to­phane reste dis­po­nible à l’élaboration de la séro­to­nine en cas de pul­lu­la­tion bac­té­rienne. Peu de tryp­to­phane pour­ra atteindre de cer­veau par la voie san­guine et ner­veuse (le cer­veau peut fabri­quer de la séro­to­nine lui-même à condi­tion de dis­po­ser de cet acide ami­né pré­cur­seur), et peu de séro­to­nine consti­tuée dans l’intestin pour­ra être livré au cer­veau par le nerf vague (la séro­to­nine ne tra­verse pas la bar­rière hémato-encéphalique et uti­lise la voie neu­ro­nale pour atteindre le cerveau).

De plus, la trans­for­ma­tion du tryp­to­phane en séro­to­nine requiert des enzymes pro­duites par le foie, ce qui est peu évident avec un foie engrais­sé par une inges­tion de sucres exces­sive (le foie gras, ou la stéa­tose hépa­tique non alcoo­lique est un fléau gran­dis­sant for­te­ment sous-estimé).

Mais les scien­ti­fiques l’affirment, dans la dépres­sion ce n’est pas tant la faible concen­tra­tion de séro­to­nine au niveau de l’encéphale qui importe que l’inflammation du cer­veau lui-même !

4 – La voie nerveuse :

Le cer­veau et les intes­tins com­mu­niquent par le biais du sys­tème ner­veux auto­nome, dont le nerf vague est un acteur majeur pour son action de régu­la­tion homéo­sta­sique de tout le trac­tus gastro-intestinal, des dif­fé­rentes sécré­tions diges­tives et de la vidange gas­trique (en plus de la régu­la­tion car­diaque). Il véhi­cule éga­le­ment les neu­ro­trans­met­teurs, les mes­sa­gers inflam­ma­toires, les virus et les bactéries.

Le nerf vague est l’agent anti-inflammatoire des intes­tins par excel­lence ; par ses fibres affé­rentes (80%) il détecte la moindre inflam­ma­tion et déclenche l’axe cor­ti­co­trope (hypo­tha­la­mus – hypo­physe – glandes sur­ré­nales) qui mène à la libé­ra­tion du pré­cieux cor­ti­sol anti-inflammatoire ; par ses fibres effé­rentes (20%), en réponse aux cyto­kines sécré­tées par les cel­lules immu­ni­taires, il libère via ses synapses locales enté­riques de l’acétylcholine qui inhibe la pro­duc­tion de TNF-alpha par les macrophages.

Un nerf vague hypo­to­nique ouvre la porte aux MICI (Maladies Inflammatoires Chroniques de l’Intestin : colites, mala­die de Crohn, syn­drome de l’intestin irri­table…), et implique des vidanges gas­triques labo­rieuses en rai­son d’un duo­dé­num moins vaillant ; et quelle est la cause d’un nerf vague hypo­to­nique ? Le stress !

. Le stress inté­rieur, celui de la dys­biose géné­rant un micro­biote extrê­me­ment agres­sif, des­truc­teur. Les bac­té­ries patho­gènes découpent les tis­sus, le nerf vague est inexo­ra­ble­ment atteint. Les per­sonnes bal­lon­nées, aux diges­tions incon­for­tables, sont des per­sonnes stres­sées et anxieuses que rien ne peut sou­la­ger, si ce n’est la cor­rec­tion de la dysbiose.

. Le stress exté­rieur, psy­cho­lo­gique, a une forte influence sur la toni­ci­té du nerf vague.

La dys­biose atté­nue la toni­ci­té vagale, un nerf vague hypo­to­nique a une action anti-inflammatoire et régu­la­trice dimi­nuée de l’intestin, un intes­tin « inflam­mé » « inflamme » le cer­veau par l’axe intestin-cerveau. Le cer­veau « inflam­mé » devient inapte à résis­ter aux stress de la vie pro­fes­sion­nelle et per­son­nelle, et un cer­veau per­tur­bé par une moindre résis­tance aux stress exté­rieurs induit une hypo­to­nie du nerf vague encore plus impor­tante. Un cercle vicieux s’installe sur l’axe intestin-cerveau.

Comment retrou­ver un bon tonus vagal :

En cor­ri­geant la dys­biose, c’est impératif !

Cette cor­rec­tion ne peut se faire qu’en rédui­sant les sucres (tous glu­cides) de façon dras­tique – entre 20 et 50 grammes par jour – en pri­vi­lé­giant les légumes, en évi­tant la farine, tout en réin­té­grant lar­ge­ment les graisses natu­relles de façon à s’alimenter avec plai­sir sans aucune res­tric­tion calo­rique (balance calo­rique négative).

Une ali­men­ta­tion riche en graisses natu­relle sti­mule l’action anti-inflammatoire du nerf vague par le biais de ses fibres affé­rentes duo­dé­nales. On com­prend mieux pour­quoi autant de per­sonnes qui abusent, pen­sant bien faire, d’aliments riches en fibres fer­men­tes­cibles lors de diètes pauvres en graisses, souffrent d’inflammation intes­ti­nale et aggravent leur dysbiose.

En pra­ti­quant une acti­vi­té phy­sique d’endurance, de pré­fé­rence loin des repas, l’estomac vide. Transpirer est impor­tant. Les sports d’endurance sti­mulent le nerf vague, c’est la rai­son pour laquelle les grands spor­tifs ont un rythme car­diaque bas. Evidemment, la consom­ma­tion de sucres est pros­crite, cela rééduque l’organisme à uti­li­ser les graisses de réserve pour four­nir l’énergie nécessaire.

La médi­ta­tion et la pleine conscience ont éga­le­ment démon­tré leur inté­rêt dans l’activation des pro­prié­tés anti-inflammatoires du nerf vague.

En conclu­sion :

La cor­rec­tion de toute dys­biose intes­ti­nale est pri­mor­diale, aucune san­té phy­sique et psy­chique n’est pos­sible lorsque l’intestin souffre.

Un cer­veau heu­reux est un cer­veau non « inflam­mé » au sein d’un orga­nisme auquel on pro­cure du gras et non des sucres.

N’oubliez jamais, tour de taille et gaz en excès sont vos juges de paix (sans mau­vais jeu de mot).

Source : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnins.2018.00049/full?utm_source=S‑TWT&utm_medium=SNET&utm_campaign=ECO_FNINS_XXXXXXXX_auto-dlvrit

[1]https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16081203

[2]https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12529927